
Wendy Carlos
le son au féminin
Ingénieure du son, artiste, homme devenu femme à la fin des années 60, pionnière de la musique électronique et de l’utilisation des synthétiseurs, accessoirement passionnée de chats et d’éclipses, Wendy Carlos est une légende. Il est probable que vous n’en ayez jamais entendu parler, mais il est à peu près certain que vous ayez déjà écouté l’une de ses nombreuses créations. Ne serait-ce que si vous avez vu Orange mécanique, The Shining, ou encore Tron. C’est elle qui a composé la bande originale de ces films.
On pourrait qualifier son parcours de non-conventionnel. Ce serait un euphémisme. Née Walter Carlos en 1979, elle développe un intérêt précoce pour la physique et la musique. Elle construit dans sa jeunesse un ordinateur et gagne même un prix pour cela. Puis elle décide de se tourner définitivement vers la musique. Diplômée d’un Master of Arts de l’université de Columbia en composition musicale, elle étudie dans le premier centre dédié à la musique électronique des Etats-Unis avec ses fondateurs Otto Luening et Vladimir Ussachevsky. C’est là que tout démarre. Elle se lie d’amitié avec Robert Moog, pionnier du synthétiseur, devenant à l’époque l’un de ses premiers clients. En lui apportant ses compétences en informatique, elle contribue à l’évolution de l’outil créateur de sons. `De cette collaboration naît l’album Switched-on-Bach en 1968, réalisé avec Rachel Elkind – à qui Wendy Carlos rend d’ailleurs un vibrant hommage sur son site. Il est constitué de morceaux du compositeur Johann Sebastian Bach joués au synthétiseur Moog. Le grand public découvre les sonorités électroniques. C’est un phénomène. Récompensé de trois Grammy Awards, le disque atteint le million de copies vendues en 1974. Il devient en 1986 le deuxième album de musique classique de l’histoire à être disque de platine. Glenn Gould le qualifie de « disque de la décennie ». Giorgio Moroder estime que c’est cette oeuvre qui l’a amené au synthétiseur. N’en jetez plus.
Toujours en 1968, Carlos décide de changer de genre et démarre un traitement hormonal. Elle vit recluse quelques années avant de rendre officielle sa transformation. Elle le fera en 1979, dans une interview donnée à Playboy, symbole pour elle de la libération de l’individu. « Le public, dira-t-elle suite à ce coming-out, s’est avéré être étonnamment tolérant, ou plutôt indifférent… Je n’avais en fait aucun besoin de me cacher. J’ai finalement gâché plusieurs années de ma vie. »
Cette décision n’empêche bien évidemment pas l’artiste de continuer ses explorations. Elle est ainsi la première à utiliser le vocodeur pour le chant ou pour imiter le son des cordes dans ses compositions pour la bande originale d’Orange Mécanique, de Stanley Kubrick. Son travail sur Sonic Seasonings, en 1972, préfigure, dix ans avant son développement, ce que sera la musique New Age. De 1992 à 1995, elle développe en collaboration avec Larry Fast une technique de masterisation et de restitution du son révolutionnaire. Son nom ? le Digi-Surround Stereo sound. Wendy Carlos fait partie de ces pionnières qui ont véritablement exploré les voies de la musique électronique, au même titre qu’une Suzanne Ciani et son travail sur les ultra-sons et les infra-basses, qu’une Eliane Radigue créatrice ascétique qui a collaboré avec Pierre Henry, ou encore Laurie Spiegel, connue pour son travail au sein des laboratoires Bell et créatrice, entre autres, du logiciel de composition algorithmique Music Mouse.
Une longue interview donnée en 1982 au magazine américain Keyboard donne un aperçu assez complet de la manière dont travaille celle qui se décrit avant tout comme une créatrice de sons. Elle y parle de la technologie comme d’un moyen de donner vie à des idées dont le temps est venu. Du souci infini du détail et de la subtilité, de l’effet produit, de l’émotion ressentie à chaque son, qui fait la différence entre les bons et les grands compositeurs. Tout part pour elle de la petite musique intérieure, de sons en elle qu’elle essaie ensuite de créer pour les sortir tel qu’elle les a entendus. Wendy Carlos, c’est le règne du timbre, de la qualité du son. Le défi principal auquel elle dit se confronter est de veiller à ne pas rompre le fragile équilibre entre d’une part la rigueur du travail de composition, structuré, planifié, le côté technique et d’autre part l’instinct, la spontanéité. Ne jamais perdre le contact avec l’oreille intérieure. « Il y a deux types de scientifiques, expliquait-elle alors : les physiciens et les collectionneurs de papillons. Je suis une collectionneuse. Les sons que je vous ai fait écouter sont mes plus beaux papillons. »
web : wendycarlos.com