
Todd & Fitch
Nicolas Todd et Damien Fitch ont chacun connu plusieurs vies. Aucun d’eux ne livre grand chose des vingt-cinq premières années de son existence…
Nicolas Todd évoque parfois des souvenirs new-yorkais, ses lectures d’alors, sur le temps et l’espace, des heures passées au Musée d’Histoire Naturelle de Central Park, des mois passés au soleil des états de l’Ouest et les affres d’un travail qu’il n’aimait pas mais le rendait libre. Il vivait la nuit, se séparait peu de quelques groupes d’amis fidèles et discutait avec eux d’un monde idéal. Il affiche une sincérité et une franchise rares. Parle peu mais ne s’embarrasse ni de préliminaires ni de périphrases et ce qu’il pense devoir prononcer lui est essentiel.
Tout autre apparaît Damien Fitch, traînant des manières de qui a été trop poli trop longtemps. Si l’on insiste, on apprend qu’il a été musicien, qu’il a arpenté sans passion les couloirs d’écoles de droit et beaucoup (sup) porté cravates et costumes sombres. Un ancêtre fitzgéraldien ne semble lui avoir laissé d’autre héritage que son nom et le souvenir de balades apathiques dans les décapotables américaines rutilantes. Nicolas Todd explique que les Arts l’ont abordé par les Cases House Studies, Damien Fitch par le Vaux et le Nôtre. Si aucun des deux n’avoue – presque à regret – de vrais échecs, ils suggèrent de trop longues incertitudes.
En ont-ils tiré des enseignements ?
Peut-être davantage par les refus qu’ils en ont conçus que par des choix positifs que leur auraient inspirés leurs errements. Comme souvent, c’est un éblouissement qui finalement les aiguille sur le chemin qu’ils cherchaient plus ou
moins consciemment : à peu près au même moment, tous deux à New York, Nicolas Todd découvre les plus grandes toiles de Jean-Michel Basquiat, Damien Fitch celles de Cy Twombly. Dès lors, ils s’abandonnent avec une très grande avidité, aux livres, aux musées, aux galeries. Un collectionneur les croise, les présente l’un à l’autre. Leur attirance pour un travail de nature artistique est alors, entre eux, un sujet constant, mais ils n’envisagent dans un premier temps que des recherches séparées. Sans compter que le respect qu’ils vouent aux peintres qu’ils admirent, parmi lesquels on compte pour l’un, Calder, Picasso, Rauschenberg, pour l’autre Motherwell, Jasper Johns et Bacon, les tétanise un peu. Ils s’entendent sur le minimalisme et supposent pouvoir chacun s’y adonner par le biais de l’Art appliqué ou d’un design qui pourtant ne trouve pas ses marques. Les tâtonnements de l’un croisent les tentatives de l’autre ; ils reconnaissent ne pas pouvoir s’en sortir seuls et se proposent de combiner leurs manques et leurs atouts.
C’est une constante, dans les rares éclaircissements qu’ils livrent de leur travail et de leur association, que de prétendre qu’ils ne forment pas un duo d’artistes mais qu’à eux deux, ils parviennent tout juste à en être un. La somme
de leurs temps, de leurs idées et de leurs énergies produit une oeuvre sur laquelle aucun ne détient seul le pouvoir et qui contient, inextricablement et irrésistiblement mêlées, les traces de leurs obsessions, de leurs exigences et de leurs convictions. Ils établissent par le rythme de leur production et la succession de séries, une échelle du temps qui leur est propre. Tant au regard des référents de l’histoire de l’Art dont ils se saisissent, que de leur refus absolu d’épuiser sans fins les succès qu’ils rencontrent.
Leur oeuvre est lumineuse, aux sens figuré et propre. La lumière est leur matière. Leur propos est ludique, onirique, esthétique, et s’ancre dans ce siècle d’écrans et de synthèse, terrain de confusion entre réel et virtuel dont ils se
jouent et se délectent. Suivis et déjà reconnus par des collectionneurs de premier plan, qui de New York à Rio, de Singapour à Sydney, les laissent, sur leurs murs, tutoyer les plus grandes signatures, ils mènent un parcours serein, indépendant, essentiel.
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TEXTE : TODD AND FITCH