
Police de caractère
Les clichés ont la vie dure. Une femme dans la police, ce n’est toujours pas une évidence en 2015.
Un métier d’homme, on vous dit ! C’est ce qu’indiquaient encore les affiches des campagnes de recrutement de la police il y a un peu plus de 30 ans. Ça ressemble à quoi, alors, le quotidien d’une femme dans la police aujourd’hui ? L’une d’entre elles a bien voulu nous en parler. Précisons qu’elle travaille quelque part en France, et qu’elle n’est pas « simple flic ». Procès verbal de l’entretien, entre franc-parler, lucidité, rires et amour d’un métier qui a pourtant bien changé.
« C’est un métier d’homme. C’est ce qu’on m’a dit quand je suis entrée dans la police. Un commissariat, c’est sûr, c’est un environnement de mecs. Un milieu rude. Pas macho, non, juste misogyne (sourire). La volonté d’intégrer les femmes, ça a duré deux ans. Beaucoup ont évolué à la financière ou à la criminelle. Elles sont peu à avoir choisi comme moi le « sautedessus ». Il a fallu que je m’affirme, que je gagne mes galons, sur le terrain, en montrant mes compétences et ma capacité à trancher.
Moi, j’ai voulu faire ce métier pour arrêter les voyous. L’armement, les arrestations, l’adrénaline. Il y a toujours un côté surprenant. Tu ne sais pas ce qui va t’arriver dans la journée, ni à quelle heure tu vas rentrer. L’équilibre avec la vie de famille ? (Sourire) Avec la pression, les permanences d’une semaine où tu dois être disponible jour et nuit, tu ne comptes pas tes heures. C’est devenu une vocation. Mes enfants, par exemple, je ne les ai pas vu grandir. Il a fallu caler une organisation, trouver des solutions logistiques avec la famille et les amis. Tu ne peux pas faire autrement. Pour tes enquêtes, tu dois avoir la tête libre. C’est comme ça. L’enquête d’abord, le reste après.
Du coup, forcément, ton boulot, c’est un peu ta famille. Des liens forts se créent. Attention, hein ! C’est pas toujours une sinécure de les manager cette bande de râleurs. Ça s’avère même parfois plus compliqué qu’une affaire.
Il faut réaliser que notre quotidien, c’est remuer la fange, la boue. Pour relâcher la pression, on boit parfois un coup ensemble. Il y a les repas de brigade, le sport entre midi et deux, et puis les voyages. Pendant les pots, les anecdotes fusent. Les gens ont besoin de s’épancher. Face au danger, on se prémunit. On essaye de cloisonner. Certains collègues sont morts. Il n’y pas de psy, chez nous. On peut toujours faire appel à l’assistante sociale, mais on a quand même un énorme retard là-dessus.
Aujourd’hui, les choses ont changé. La mentalité des collègues d’abord. Certains prennent leur mercredi. Ils donnent la priorité à leur vie familiale. Forcément, ça a une influence sur les enquêtes. Moi, j’ai été élevée dans l’investigation. Mais je comprends. Le métier n’est plus celui que j’ai connu. La justice est tenue par les avocats, qui maîtrisent les failles de plus en plus nombreuses du système. C’est dû à l’alourdissement de la procédure pénale. Tu n’as pas idée des galères qu’engendre une garde à vue, entre les avocats, les papiers, la photocopieuse qui foire, le logiciel qui plante, le parquet, la frilosité de certains magistrats, etc. On est convoqué régulièrement aux Assises. On y est mieux préparé aujourd’hui, mais avec les avocats ça louvoie. Toujours obséquieux. On a perdu de la qualité de l’audition puisqu’ils sont toujours là. On est devenu une police aseptisée, plus politique, tributaire du ministère de l’Intérieur. Il faut faire des affaires en Zone de sécurité prioritaire (ZSP). Il faut être rentable. On est jugé sur le nombre. Or, c’est difficile de comptabiliser alors qu’on travaille sur de l’humain. Ça doit être l’époque qui veut ça. Tout, tout de suite. Des résultats, vite ! Une bonne affaire est une affaire qui peut être médiatisée.
On parle de malaise dans la police. C’est vrai. C’est comme une déprime de famille. En plus des procédures et des avocats, et le fait d’être constamment pointés du doigt, il y a LE problème du manque de moyens. On court après l’argent. Je peux te dire qu’on est loin des films et des séries télé. Ah si, Candice Renoir. C’est plutôt bien vu. Il y a aussi des films comme L.627, ou Polisse, qui sont assez proches de la réalité. Pas Olivier Marchal, qui exagère un peu sur le côté sombre. Bref. Il n’y a plus grand monde qui souhaite faire ce boulot. Avant, pour entrer chez nous, il fallait être coopté. Aujourd’hui, pour un recrutement, il n’y a plus que 4 candidats. Les gens n’ont plus envie de se faire chier. Quand j’ai commencé, j’étais flic. On se considérait encore comme les derniers garants de l’ordre républicain. Aujourd’hui, tu entres, tu es fonctionnaire de police. Les collègues attendent plus, sont peut-être moins dans l’initiative.
A quelqu’un qui voudrait faire ce métier, je dirais qu’il faut être lucide. Le parcours ne sera pas facile. Les temps ont changé. La société aussi. Mais celui ou celle qui en veut trouvera toujours son compte. Je souhaite aux futurs policiers de s’épanouir et surtout, surtout de s’enrichir au contact des gens qu’ils rencontreront. Je considère ma carrière comme une grande aventure humaine. J’ai eu la chance de faire un métier pour lequel j’ai vibré. Je me suis fait plaisir et je n’ai pas vu les années passer. Oui, c’est vrai, il y a moins d’adrénaline aujourd’hui, plus de pression. Dans une certaine mesure, tant mieux. Cela me permettra de partir sans regret. Et je me dis que je découvrirai ce qu’est la vie quand je serai à la retraite. »