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PNC : Personne non considérée

Personne non considérée

«Toute ma vie j’ai rêvé d’être une hôtesse de l’air, toute ma vie j’ai rêvé d’avoir les fesses en l’air… »
Jacques Dutronc.

Tout le monde sait ce qu’est un PNC ? Personnel navigant commercial ? Non ? Et si je vous dis steward ou hôtesse de l’air, vous voyez de quoi je parle ? Bien. Ce métier atypique traîne son lot de stéréotypes. Il est pourtant loin d’être idyllique.

23h32. Aéroport CDG, Vol AF en direction de HK

PNC, CDG, AF, HK… La vie d’une hôtesse de l’air est une suite d’acronymes. Dire très peu et suggérer beaucoup : pas une minute à perdre.

J’embarque pour Hong Kong. Pas pour le boulot, ni réellement pour le plaisir. Un voyage «d’agrément». C’est comme ça que les initiés disent, je pense.

Une de mes amies travaille pour la plus grande compagnie aérienne française. Pas la peine de vous faire un dessin. Elle m’a proposé de l’accompagner. Le passager lambda appelle çà un voyage. Pour elle, c’est une rotation. Terme barbare, ou poétique, c’est selon. Mais qui en dit long. Elle part, revient, revient, part. Sans trêve : c’est son taf.

Je suis en salle d’embarquement. Mon avenir proche ? 11 heures de vol. J’ai envie de lui rendre hommage, à ma petite hôtesse de l’air. De lui dire tout le respect que j’ai pour elle.

Il parait que ce métier est dans le top 10 des fantasmes masculins.

On s’imagine souvent une jolie nana en uniforme, pas trop conne, mais pas non plus sortie de Saint Cyr, qui n’est là que pour apporter des plateaux repas et/ou sur laquelle on passe ses nerfs. On a acheté un billet d’avion plusieurs centaines d’euros, alors forcément, on se sent pousser des ailes…

Que tous ceux qui n’ont jamais pris l’avion plus de trois heures fassent un effort de compréhension. Les autres, vous n’aurez pas de peine à comprendre, je pense.

Imaginez un Paris-Tokyo : 12h de vol, + 6h de décalage horaire à peu près. On en sort froissé, fatigué, les intestins à l’envers, soulagé que cette demi-journée d’ennui, enfermé dans une boîte à sardines volante, se termine… Maintenant dites-vous que vous, pendant ces 12h, vous étiez tranquillement assis, à boulotter votre plateau repas – d’accord, franchement pas terrible, mais manger ça occupe – à mater à la chaîne les derniers films à l’affiche – le ciné, ça occupe – ou à somnoler, si vous faites partie des improbables chanceux capables de dormir le corps plié en quatre.  OK, tout cela aussi parfois en apnée – parce que votre voisin a pris un bain d’Eau de Cologne bon marché (dans le «moins pire» des cas) – les genoux dans la bouche – parce qu’il faut bien mettre vos jambes quelque part – et en subissant les bourrades du voisin de derrière qui n’arrive à quitter sa place qu’en rappel, fermement agrippé à l’arrière de votre siège, ou les va-et-vient de celui d’à côté qui a apparemment des soucis de prostate et la descente d’un Russe. Bref, le charme de la promiscuité.

Maintenant que le décor est planté, dites-vous que la nana dans son bel uniforme, que vous matez à chacun de ses passages, va rester debout durant la majeure partie du voyage afin de veiller à votre sécurité (car c’est sa principale mission, on ne le sait que trop peu) et de répondre au moindre de vos petits désirs (ça, en revanche, on ne l’oublie pas assez).

Dites-vous aussi, avec un peu d’indulgence, qu’elle en est peut-être à son 4e ou 5e vol sur le mois, et qu’elle fait ça toute l’année, ce qui explique, derrière son sourire, ses traits fatigués, et la légère irritation, parfois, quand vous vous déchaînez sur le bouton d’appel pour qu’elle vous resserve du café.

Je l’ai accompagnée une fois à LA. J’étais aux anges… Décollage un vendredi après-midi à 15h, arrivée à 18h heure locale. Soit samedi, 3h du matin en France. Retour sur Paris le lundi matin à 11h. 48 heures sur place : le temps pour mon corps de se perdre péniblement dans les fuseaux horaires. Idem pour elle : car oui, incroyable, l’hôtesse de l’air n’est pas une montre à remontage automatique. Moi, j’ai mis une semaine à m’en remettre, elle, elle est repartie deux jours plus tard pour Tokyo. -9h dans un sens +7h dans l’autre, en moins d’une semaine. Faites la somme des décalages horaires : de quoi perdre ses repères et ne plus savoir quel jour on est.

Evidemment, ce métier rime souvent pour nous avec ailleurs, dépaysement, vacances… Pourtant, dans les faits, il est aussi synonyme de pénibilité, de fatigue. « Les hôtesses de l’air sont des narcoleptiques » s’amuse souvent à dire un pote steward. Elles auraient du sommeil à rattraper. Sans blague ?

Si les pilotes sont les dieux intouchables des compagnies aériennes, les PNC ne sont bien souvent qu’une variable ajustable : les rotations se resserrent, le temps de récupération diminue, conséquence d’une politique de gel des embauches.

Ajoutons à cela la solitude des chambres d’hôtel à l’autre bout de la terre, la vue sur les toits-parkings des grandes villes, la difficulté de créer du lien avec des collègues en turn-over constant, rencontrés deux heures avant de décoller. Mais aussi les risques sanitaires : Ebola, paludisme… Ou les déroutages au fin fond de la Sibérie (oui, oui, véridique) car l’un des moteurs de l’avion à lâché et que, par prudence, mieux vaut se poser au plus vite. Aventurières ces petites hôtesses de l’air ? Bien malgré elles, malheureusement.

 

Un grand nombre de PNC ont perdu la vie récemment dans le cadre de leur fonction. On ne se rejoue pas ici les gros titres des journaux sur les catastrophes aériennes…

Quoique.

Lorsqu’un pilote a envie de se foutre en l’air, que des rebelles indépendantistes se balancent des missiles sans faire la différence entre un A320 et un avion de chasse, que des fanatiques détournent des avions et prennent des gratte-ciels pour des quilles, ou que la météo rappelle à l’homme qui commande, hôtesses et stewards endossent le rôle pour lequel ils ont été formés : assurer la sécurité des passagers, votre sécurité, avec sang-froid et professionnalisme.

Ce sont les risques du métier me direz vous. Eux le savent et partent travailler avec, dans un coin de leur tête, cette possibilité de ne pas revenir.

 

à S.

 

texte: david. co-écrit avec émilie – photos: stéphanie thiese

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