
Les journaux du président
ELENA FUSCO & CYRIL PETIT
Non la presse papier n’est pas morte. L’exemplaire d’Apologie que vous avez entre les mains en est une preuve. Le papier est irremplaçable pour transmettre des informations avec émotion. Alors, oui, la diffusion imprimée des quotidiens comme des magazines est globalement en baisse mais le journal est en train de changer de dimension : on observe un regain d’intérêt à sa fonction d’objet bien rangé et hiérarchisé. Il devient
un moment.
Pour s’informer, pour jouer, pour nettoyer les vitres, pour réfléchir, pour emballer les objets avant déménagement, pour apprendre, pour jeter les épluchures, pour se divertir. Pour se faire plaisir... Le journal a mille et une fonctions.
Pendant plusieurs mois, nous sommes partis à la rencontre de personnages qui font vivre les journaux au quotidien. Nous avons notamment rencontré Ali, l’un des derniers crieurs de France ; Fernande, 94 ans, qui vend l’Est Républicain dans un village de 400 âmes ; ou encore Jeanne, qui dévore et découpe la presse pour en faire des tableaux qui décryptent notre quotidien.
Et puis, nous avons eu la chance de suivre les coulisses de la livraison des journaux au président de la République. Le rituel a lieu chaque matin. Nous l’avons vécu le 14 février. François Hollande, grand amoureux de la presse (ado, il voulait être marchand de journaux et il a même écrit des articles) et des journalistes (son quinquennat a été marqué par ses confidences permanentes) était encore chef de l’Etat.
Depuis, Emmanuel Macron est entré à l’Elysée, mais le rituel n’a pas changé. Immuable depuis des décennies. Quel que soit le chef de l’Etat. Chaque nuit, la presse du jour est livrée au kiosque le plus proche du Palais, face à la place Beauvau, dans le 8ème arrondissement de Paris. A 5h30, le marchand de journaux ouvre et met de côté les exemplaires pour le Palais (environ 300). Peu avant 6 heures, un garde républicain, en civil, vient les récupérer. A l’Elysée, les journaux sont alors triés entre les différents services. Le paquet du président est constitué (évidemment on lui donne
les exemplaires les mieux imprimés !).
Et puis vient l’heure d’un cérémonial inconnu. Il est 7h15. Un homme sort de la conciergerie de l’Elysée les bras encombrés. Il porte des gants blancs. Il passe sous deux porches, puis longe le mur de gauche de la cour d’honneur (qu’il est interdit de traverser hors cérémonies officielles et conseil des ministres). Il fait encore nuit (et froid) en ce 14 février, jour de la Saint-Valentin. L’homme en cape entre par la porte principale vitrée (là même où le président accueille ses visiteurs). Son trésor sous le bras, il traverse le vestibule d’honneur, monte (par la droite) l’escalier Murat, accélère dans l’autre vestibule du 1er étage avant de ralentir à l’approche du Salon vert. Encore quelques pas et le voilà qui dépose ses précieux sur le bureau du président de la République. Les journaux du jour. Il est 7h22.
Alors oui, ne soyons pas naïfs : nous sommes en 2017 et le président a déjà reçu, chaque jour, l’essentiel des informations importantes avant que les quotidiens arrivent sur son bureau. Par ses proches, par des alertes mobiles, par des tweets, par l’information télévisée en continu… La presse ne l’informe pas vraiment. Mais, lors de ce reportage, nous avons pu sentir la solennité du moment, le soin avec lequel ces journaux sont apportés au président. Les 11 photos proposées par Apologie témoignent de ces 5 minutes furtives qui, chaque jour, inaugurent la journée au Palais de l’Elysée. Non, la presse papier n’est pas morte.
Elena Fusco,
journaliste et photographe,
et Cyril Petit,
rédacteur en chef central et secrétaire général de la rédaction du Journal du Dimanche