
Cosmos de New York
Trop vite, trop haut, trop fort
« J’ai une idée de dingue ! Voilà le plan : on va monter une équipe de cricket et lancer ce sport en France ! On va créer une ligue professionnelle et un championnat national, remplir des stades de 75 000 personnes. TF1 va acheter les droits et diffuser les matchs en direct. Ça va être un truc de malade. J’ai même contacté Sachin Tendulkar. Mais si, tu sais, c’est la légende vivante du cricket, en Inde. Il est ok pour venir jouer trois saisons. »
Vous serez d’accord avec nous, deux types de réactions sont envisageables face à un tel tissu d’inepties :
« Ah, ah ! T’es con Jean-Claude ! Remets-nous une tournée ! »
« Ne bouge pas, je vais chercher une camisole… »
Et pourtant, c’est à peu près ce qui s’est passé aux Etats-Unis il y a une quarantaine d’années. Il ne s’agissait pas de cricket mais de football. Et la légende vivante impliquée dans cette affaire n’est autre que le roi Pelé himself. Ce délire incroyable, c’est l’histoire complètement folle des Cosmos de New York. Ou comment un homme, Steve Ross, magnat de la communication, a décidé à la fin des années 70 de développer le football – ou plutôt le « soccer » – aux Etats-Unis en créant de toutes pièces et à coups de millions de dollars une équipe de « galactiques » de l’époque.
«Si tu pars dans un club européen, tu gagneras un championnat. Si tu viens avec nous tu gagneras un pays. »
- CLIVE TOYE, MANAGER GENERAL DES COSMOS NY -
Mais pourquoi ?
Pourquoi Steve Ross, grand entrepreneur à la tête de Warner Communications, s’intéresse-t-il au début des années 70 à ce sport ? Et pourquoi décide-t-il d’y investir des moyens colossaux ? Le pari est risqué. C’est un pléonasme. A cette époque, le foot n’a rien pour plaire aux Américains :
La quasi-totalité de la population ignore jusqu’à l’existence de ce sport.
Les règles semblent incompatibles avec la culture des sports US :
Demandez à un supporter ricain de rester assis pendant 45 minutes sans pouvoir aller chercher une saucisse ou un godet, vous verrez, c’est compliqué.
Difficile de comprendre, pour ce même supporter, qu’il puisse y avoir des matchs sans but, sans point. Le côté épique, le ressort tragique, tout ça lui échappe un peu, au dude de base. Bref, autant tenter de développer le cricket dans l’Hexagone (pour ceux qui s’interrogeraient encore sur l’idée en intro).
Alors, nous direz-vous ? Pourquoi ? (c’est le moment de se ruer sur le 2e point).
Reprendre une équipe de guignols avec deux frangins turcs
Et bien, chers amis, ne sombrons pas dans les clichés, mais, comme beaucoup de choses outre-Atlantique, le point de départ du développement du foot aux Etats-Unis est une question de business. Et aussi beaucoup d’égo !
Steve Ross a racheté à la fin des années 60 Atlantic Records, maison de disque fondée par deux frères d’origine turque, Nesuhi et Ahmet Ertegün. Nesuhi a l’opportunité de quitter la boîte qu’il a créée, mais Steve Ross veut qu’il reste. Il est prêt pour cela à lui donner ce qu’il souhaite. Vous le voyez venir ? Ce que veut Nesuhi Ertegün, c’est un club de foot. Steve Ross accepte. Début 1971, lui et son associé de toujours Jay Emmet, ainsi que huit cadres de Warner investissent dans l’affaire, à hauteur de 35 000 dollars chacun. Un Anglais, Clive Toye, est nommé general manager. Un autre Anglais, Gordon Bradley, devient coach-joueur.
Le club des New York Cosmos (contraction de « cosmopolitans ») est né et intègre la North American Soccer League. Les débuts sont ridicules. Un stade sous un pont reliant le Bronx à Manhattan. Des matchs devant des gradins vides. Aucun intérêt de la part des médias. Une équipe de semi-pros. Les Cosmos remportent tout de même le championnat de 1972 dans l’indifférence générale… Ça sent le sapin pour les rêves de grandeur. Les dix investisseurs de départ revendent leurs parts à Warner Communication pour un dollar, ce qui permet à Steve Ross d’inclure la franchise à son empire. C’est à partir de là qu’il décide de passer la seconde. Comment ? En décidant de faire venir la plus grande des stars.
Recruter le plus grand joueur du monde
Nous sommes en 1974. Le roi Pelé vient d’annoncer sa retraite de son club de Santos. Il est convoité entre autres, par le Real de Madrid et la Juventus de Turin. Le convaincre n’a pas été une mince affaire, mais le club est prêt à tout, y compris à changer ses couleurs pour le vert et le jaune, couleurs du… Brésil. Tout s’est joué sur trois tableaux :
Les mots. Pour te faire vibrer, y’a pas meilleur qu’un anglo-saxon. Clive Toye, le manager, rapporte avoir dit à Pelé : « si tu pars dans un club européen, tu gagneras un championnat. Si tu viens avec nous, tu gagneras un pays. »
La diplomatie. Pelé est considéré comme un trésor national. Le laisser partir jouer aux Etats-Unis est un sujet sensible. Steve Ross a le bras long. Henry Kissinger en personne (ministre des affaires étrangères US sous Nixon) appelle homologue brésilien pour lui dire à quel point la venue de Pelé serait bénéfique aux relations entre les deux pays. Ce dernier appelle Pelé pour l’encourager à signer. Lunaire.
L’argent. Oui, bien sûr (what did you expect ?). Norman Samnick, l’avocat de Warner Communications, est envoyé pour mener les négociations. On n’est pas certain du montant exact du contrat mais il oscille selon les interlocuteurs entre 4 et 7 millions de dollars, avec des clauses touchant au jeu, bien entendu, mais aussi aux relations publique, au marketing et à la musique (?!?).
Pelé signe et devient le sportif le mieux payé du monde. Il débarque donc à New York. Son arrivée est annoncée en grande pompe au club 21 de Manhattan, devant les journalistes venus en nombre. L’événement est tel que son premier match est broadcasté par CBS. Il s’en est fallu de peu pour que ce soit le dernier. Lorsqu’il sort du terrain, Pelé dit à Clive Toye :
« C’est la première et la dernière fois que je joue ici ».
« Pourquoi ? », lui demande Toye.
« Mes pieds sont ma seule richesse, lui explique Pelé. Regarde dans quel état ils sont. Complètement verts. J’ai chopé un champignon ou je ne sais quoi ».
Tout rentre dans l’ordre lorsque Clive Toye lui explique qu’ils ont dû peindre le terrain en vert, là où la pelouse manquait, c’est-à-dire un peu partout. Question de rendu pour la télé…
Côté terrain, donc, la tactique a le mérite d’être simple : donner la balle à Pelé et le regarder marquer. Plutôt limité. Steve Ross ne veut pas s’arrêter là. Il veut plus de stars dans son équipe.
Le rital
On sait qu’il y a eu Franz Beckenbauer, Johan Cruyf, ou encore Carlos Alberto. Des monstres du ballon, des magiciens. Mais il y en a eu un, dont le nom est peut-être un petit peu moins connu, qui a eu un poids considérable dans l’histoire de ce club. Giorgio Chinaglia.
Il débarque de la Lazio en 1976. Meilleur buteur du Calcio en 1974, sélectionné la même année pour la Coupe du monde, il est l’un des rares joueurs à débarquer au top de sa carrière dans le championnat américain.
Soyons clairs, le mec est imbuvable. Le footeux Italien dans toute sa splendeur. Beau gosse, charmeur, un ego surdimensionné, arrogant, magouilleur, caractériel, égoïste, insupportable. Un sale con qu’on adore détester.
Mais c’est un buteur né. Jugez plutôt : 242 buts en 254 matchs pour les Cosmos entre 1976 et 1983. Et Steve Ross l’adore. Ce qui est loin d’être le cas de ses partenaires de vestiaire.
Il y a tout de même un domaine sur lequel Chinaglia et Pelé se retrouvent: la fête et les filles. Il y a une bonne anecdote à ce sujet. Nous sommes en 1976. Les Cosmos jouent les play-offs et doivent rencontrer en demi-finale de conférence les Tampa Bay Rowdies. Rodney Marsh, joueur anglais des Rowdies, rapporte que, connaissant les loustics, ils ont fait envoyer à l’aéroport, à l’arrivée des Cosmos la veille du match, une limousine pour Pelé et Chinaglia. A son bord : deux filles et deux bouteilles de Chivas. Le lendemain, les Cosmos perdent 3-1. Rodney Marsh en rit encore.
Show-business time
1977. Dernière saison de Pelé aux Cosmos. Saison de toutes les folies. L’équipe joue dans le stade des Giants et attire les fans. Le premier match des play-offs cette année-là, contre les Strikers de Fort Lauderdale, s’est joué devant 77 691 personnes. Un record. Steve Ross américanise le show. Pom-pom girls, spectacle à la mi-temps, mascotte sur le terrain : la totale. Même les règles du jeu ont été aménagées par la ligue pour ajouter un peu de dramaturgie au jeu. Il faut impérativement un vainqueur. Les tirs au but sont remplacés par une séance un peu spéciale : le joueur part du milieu du terrain, face au gardien qui peut sortir de ses cages, et a 5 secondes pour tirer. Le stade devient « the place to be ». Dans les tribunes, le président du club invite toutes les stars sous contrat avec Warner. Robert Redford, Mohamed Ali, Andy Warhol, Steven Spielberg, Barbra Streisand… Tout le gratin défile. Le vestiaire des joueurs leur est ouvert. Du grand n’importe quoi.
Le coach s’énerve un jour, à la fin d’un match : « Est-ce que quelqu’un peut me virer de ce vestiaire le mec là-bas, aux cheveux longs, et qui a l’air passablement camé ? » Le mec en question est tout simplement Mick Jagger. En ville, l’équipe a sa table permanente au Studio 54. Les joueurs s’y retrouvent après les matchs à domicile. Sympa la troisième mi-temps. Ce cirque n’empêche pas les Cosmos de remporter le championnat de 1977 en battant en finale les Seattle Sounders. Franz Beckenbauer est élu meilleur joueur de la saison et Pelé prend sa retraite.
Et finalement tout faire foirer
Après… et bien c’est un peu le déclin, malgré les titres de 1978, 1980 et 1982. Les stars prennent leur retraite et le public déserte, pour le coup moins attiré par les affiches.
Steve Ross jette ses dernières forces dans une bataille qui peut complètement relancer le foot aux US. En 1982, la Colombie, choisie pour organiser la coupe du monde de 1986, annonce qu’elle se retire. Le patron de Warner se lance dans un campagne de lobbying auprès de la FIFA et de son président de l’époque, Joao Havelange, pour que les Etats-Unis organisent la compétition sur leur sol. C’est finalement le Mexique qui est choisi. Steve Ross, dépité, jette l’éponge.
Une OPA lancée par Rupert Murdoch sur la Warner au début des années 80 échoue, mais contraint l’entreprise à la vente du club. Les Cosmos sont rachetés par un syndicat à la tête duquel on trouve un certain Giorgio Chinaglia.
Rien n’y fera. Le déclin du club entraîne celui de la ligue. La franchise des Cosmos rejoint en 1984 la ligue de foot en salle….
Il faudra attendre 2010 pour revoir les Cosmos dans le championnat américain. Rachetée en 2009 par un consortium britannique, l’équipe évolue depuis 2013 en D2. Son président honoraire n’est autre qu’un certain Pelé…
texte: laure hemblant – photos: capture d’image du DVD Once in alifetime édition BAC film
DVD : NY Cosmos, Once in a lifetime – BAC film