
L'Atlas
Les chemins de l’Atlas
D’abord on se dit que c’est un jeu. Les toiles de L’Atlas semblent être des labyrinthes. On s’amuse à chercher une route. Et puis, petit à petit, boum, les caractères se distinguent et le nom apparaît. Toujours le même. Le pseudo de l’artiste. L’expérience va bien sûr au-delà de cette illusion d’optique.
« Je cherche à tromper les regards et à amener les gens qui sont censés s’intéresser au graffiti à s’intéresser à des arts plus anciens, notamment aux arts abstraits, et inversement pour ceux qui s’intéressent à ces mouvements-là. »
Gardez cette phrase en tête. Lâchée par L’Atlas au détour d’une interview, elle est une clé de compréhension de son travail.
L’art de L’Atlas – Jules Dedet Granel pour l’état civil – est né dans la rue, dans les années 90. Son truc, c’est le graffiti, aux côtés d’autres pionniers comme Zevs ou Space Invader. Mais contrairement à la plupart de ses petits camarades de jeu, le figuratif l’intéresse peu. Passionné d’histoire de l’art et d’archéologie, sujets de ses études, L’Atlas cultive un goût certain pour la calligraphie. Sa quête dans ce domaine va l’emmener au Maroc, en Egypte, en Syrie, puis en Chine. Il y étudie les techniques, parfait ses connaissances, travaille son geste, et accouche d’une expression graphique, synthèse de ces influences et de sa culture d’origine, devenue aujourd’hui sa signature. Une écriture abstraite, géométrique et labyrinthique, donc, exploitée au début des années 2000 dans ses boussoles disséminées sur le macadam parisien, sortes de repères géographiques pour individus perdus dans l’espace urbain. Son pseudo, à l’origine, renvoie d’ailleurs plus au plan qu’à la mythologie. Topographie et typographie. Le mariage de la carte et du latin, en somme.
RUPTURE ET CONTINUITÉ
En 1998, L’Atlas a la bonne idée de taguer un camion d’Agnès B. Généralement, c’est le genre de plan qui mène au poste – ce qui lui est déjà arrivé. Là, non. C’est plutôt le jackpot, même. La créatrice apprécie et le sélectionne pour participer à l’expo sur le Street art qu’elle organise en 2001 à la galerie du jour. Une première pour L’Atlas qui lui ouvre les portes des galeries. Il s’y engouffre sans pour autant renier ses origines, continuant de puiser son énergie de la rue et affirmant ses racines de tagueur en basant son travail sur son nom. Un nom dont il a fait un logogramme, décliné sur toiles dans toutes les combinaisons rendues possibles par l’utilisation des lignes de base verticales et horizontales. L’Atlas se multiplie. Il est partout. Sur les trottoirs, sur ses toiles, sur les photos qu’il en fait in-situ, sur les vidéos en time-lapse qu’il réalise de ses installations. Et même, dernièrement, sur 180 millions de bouteilles de Perrier. La marque l’a choisi pour orner ses étiquettes. Assumant un héritage du Pop art, son œuvre devient éphémère et permanente, suivant des techniques rodées.
UNE TECHNIQUE CHIRURGICALE
« J’ai une pratique chirurgicale de l’acte créatif, expliquait-il en mai dernier dans Les Inrocks. Je suis entouré de cutters, d’outils de menuiserie, de découpes numériques ou de plans sur papier. J’évolue avec ordre et méthode, voire une certaine maniaquerie... j’archive tout. Autant de réflexes de calligraphes en fait. Un calligraphe, avant de se mettre au boulot, il range sa table pendant une heure. C’est un bon prélude à la création je trouve. » .
L’Atlas a plusieurs outils de prédilection. Le gaffer, d’abord, pour ses boussoles sur macadam. Ce scotch de grande taille est utilisé notamment au cinéma. Un accessoire familier. Son père, Yann Dedet, était monteur et a notamment travaillé avec François Truffaut, Philippe Garrel, Maurice Pialat, etc. Le gaffer a l’avantage d’être résistant, facile à couper à la main, d’avoir une bonne adhérence tout en étant facile à enlever, et en laissant peu de traces. Pour ses toiles, il a recours au scotch papier, ou en amidon de riz. Une technique proche de celles utilisées par les peintres en lettres. L’artiste utilise enfin le compresseur, pour un rendu proche de l’imprimé.
A LA CROISÉE DES CHEMINS
Résultat, des œuvres singulières, immédiatement identifiables, abstraites, mais seulement en apparence. En rendant présent quelque chose d’absent au premier abord, en jouant avec les sensations et la perception du spectateur, en sollicitant le corps et non l’esprit, L’Atlas fait le lien avec un autre mouvement, l’art optique (il est un fan assumé de Victor Vasarely), fondateur de l’art contemporain.
DE LA RUE AU MUSÉE
Faire la synthèse. Voilà donc l’ambition de L’Atlas. Transformer l’énergie pulsionnelle du tagueur en quelque chose d’universel. Réaliser l’alchimie entre la tradition, héritée de la calligraphie et de sa géométrie, et la rupture des pratiques tirées de la rue. Jouer avec les symboles de l’imaginaire et de l’inconscient collectif pour inscrire définitivement le Street art dans l’histoire de l’art et le faire entrer dans les musées. Le Street art existe depuis près de 50 ans. Il est le mouvement de notre époque. L’Atlas est dans le timing.