
GRACE CODDINGTON
Grace qui ?
- Grace Coddington.
- Qui ?
- Grace Coddington.
- Connais pas.
- Mais si.
- Mais non !
- Mais si.
Faites le test autour de vous. Ça marche à tous les coups. Sauf à discuter avec un cador de la mode, le nom de Grace Coddington n’évoquera pas grand chose à votre interlocuteur. Parlez-lui alors d’Anna Wintour. Tout le monde connaît Anna Wintour. Sa frange, ses lunettes noires, son air impénétrable, sa réputation de dragon, son influence et le rôle de Meryl Streep dans « Le diable s’habille en Prada »… « Et alors ? Quel rapport ? », enchaînera normalement la personne en face de vous. Il est tout simple. Anna Wintour et Grace Coddington sont les deux composantes indissociables du magazine Vogue US, sorte de bible actuelle de l’industrie de la mode. Si Anna Wintour, rédactrice en chef, en est la tête, Grace Coddington, directrice artistique, en est le coeur.
Elle est cette grande dame rousse au teint de porcelaine, assise juste à côté d’Anna Wintour pendant les défilés, et occupée à griffonner sur un petit carnet des croquis pour garder la trace de ce que lui inspirent les modèles présentés. Née en 1941 sur l’île d’Anglesey – superbe trou paumé au Nord du Pays de Galles – elle est d’abord mannequin, à Londres. Un accident de voiture, à 26 ans, manque de lui arracher l’oeil gauche et met un terme à ce début de carrière prometteur.
Elle devient éditrice pour Vogue, version britannique. C’est là qu’elle rencontre son mentor, le photographe Norman Parkinson. Au contact de ce personnage, précurseur, porteur d’une vision originale et extravagante de la mode, non dénuée d’humour, adepte des shootings en extérieur, perfectionniste, elle forge un regard et un style qui deviendront sa signature.
Elle rejoint Vogue US en 1988 en tant que styliste, à la demande d’Anna Wintour qui prend les rênes du magazine la même année. En 1995, elle est nommée au poste de directrice artistique.
Aussi légère puisse-t-elle paraître, la mode est un sujet universel, reflet du temps. Dans ce business plus qu’ailleurs, tout repose sur l’image et sur le timing. Cette force de l’image, Vogue en fait sa marque de fabrique et la clé de son influence. Le job d’une personne comme Grace Coddington, c’est donc de collaborer avec un photographe pour capturer une image qui soit celle de la mode, à un moment donné. Comment ? C’est là que ça se complique. Impossible d’inscrire dans un processus formalisé le mécanisme ou les actions
permettant de parvenir à ce résultat. Il est plutôt question ici de subjectivité, de sensibilité, d’idée, de regard, d’inspiration. Dans le documentaire « The September Issue », sorte de plongée dans les coulisses de Vogue et dans lequel elle vole quasiment la vedette à Anna Wintour, Grace Coddington se défend pourtant d’être une artiste. Au mieux estime-t-elle être « une des personnes de l’équipe qui aide les photographes », soulignant que réside là toute la différence entre l’art et la photographie de mode.
Il n’empêche. Tous les collaborateurs / prédécesseurs / connaissances de Grace Coddington louent son univers particulier, sa vision romantique et poétique, un peu sombre parfois, les histoires qu’elle met en scène. On ne compte plus ses collaborations avec des pointures de l’objectif. Elle les a toutes côtoyées, d’Irving Penn à Annie Leibovitz, en passant par Helmut Newton et Bert Stern. C’est sous sa houlette qu’ont été publiées les séries photos de Vogue les plus mémorables. Elle sait à chaque fois transmettre la vision de
l’univers qu’elle veut mettre en place. Comme le disait un article de Time Magazine, filant la métaphore religieuse : « si Anna Wintour est la papesse de la mode, Grace Coddington est Michel Ange essayant de peindre une nouvelle version de la Chapelle Sixtine 12 fois par an ».
Peut-être pas une artiste, donc, mais un formidable maître d’oeuvre, un storyteller d’exception.
En 2012, Grace Coddington a publié ses mémoires (« Grace – A memoir »). Elle y raconte son parcours et sa vie. Drôle, léger, tantôt désarmant de naïveté, tantôt surprenant de profondeur, son livre est à l’image de l’industrie dans laquelle elle évolue : fascinant, à tous points de vue. Il s’est vendu comme des petits pains. Hollywood travaille même à une adaptation sur grand écran.
«GRACE : A MEMOIR» - GRACE CODDINGTON - EDITIONS RANDOM HOUSE, NOVEMBRE 2012
DOCUMENTAIRE «THE SEPTEMBER ISSUE», DE R.J. CUTLER, SEPTEMBRE 2009
TEXTE : EMMETT BROWN