
George Best
Maradonna good, Pelé better, George Best...
Il est Georgie, le cinquième Beatle. Le premier footballeur rockstar, celui qui déchaînait les foules, celui qui dansait avec des Miss Monde. George Best a une place unique dans le panthéon de son temps, les Sixties. Pour le meilleur, et pour le pire. Car la puissance de son aura n’a d’égale que l’éphémère de son éclat. Plongée dans l’effervescence d’une époque insouciante et belle.
Mercredi 29 mai 1968, Wembley. Un ailier au regard rieur se lance dans un slalom endiablé. Au bout, un but, celui qui met Manchester United sur la voie de sa première Coupe d’Europe. Le grand Benfica Lisbonne doit s’incliner devant la grâce du playboy. George Best, c’est son nom, danse sur le toit d’un continent tombé sous le charme. Les superlatifs et les mots d’amour affluent. C’est que l’homme a du style, en plus d’être le meilleur balle au pied. Il porte des vestes chatoyantes et des pantalons évasés, se déhanche sur les singles des Who et sort avec des mannequins. Sa vie est faite de football et de fêtes. Ses dribbles, ses bons mots et son sourire font tourner les têtes aussi efficacement que les Beatles. Ou que l’alcool. Car le brillant Georgie a son côté obscur dans lequel il se noie allègrement. Il ne le sait pas encore mais, ce soir de mai 1968, George Best est au sommet de sa course d’étoile filante. La vie de Best ? The Long and Winding Road.
Flashback. 30 septembre 1964 à Stamford Bridge, quartier de Chelsea, toujours à Londres. À tout juste 18 printemps, le Red Devil de Manchester n’est encore qu’un diablotin. Mais, ce soir-là, il offre un récital et reçoit les louanges de Ken Jones, chroniqueur au Daily Mirror : « À la fin, ils se sont levés et l’ont applaudi, ils lui ont donné leurs cœurs qu’il a gagnés avec chaque mouvement enchanteur, chaque geste provenant de son jeu de génie (...). Le match est fini, mais qui peut oublier une telle chose ? » George Best vient de marquer son entrée dans la cour des grands. Comme un symbole, il le fait à Stamford Bridge, endroit phare des Swinging Sixties au même titre que Fleet Street, là où paradent les personnalités.
Les habitués Steve McQueen, Terence Stamp ou Raquel Welsh ont peut-être découvert le gamin nord-irlandais à ce moment. Il est loin, le temps où l’entraîneur d’United reçoit un télégramme lapidaire : « Je crois vous avoir trouvé un génie. » Le génie ? Un enfant chétif, 15 ans pour 47 kilos, au père ouvrier et à la mère retraitée des terrains de hockey mais alcoolique à plein temps. L’arrivée à Manchester du kid de Belfast sera à l’image de sa courte vie : marquée par l’insolence et par l’époque. Au terme de la première journée, il estime en avoir assez vu et rentre à la maison. Le paternel doit envoyer un message d’excuse pour que son fils soit engagé comme apprenti. Surtout, Georgie débarque dans un club portant les stigmates du crash de Munich. Trois ans plus tôt, en 1958, le gamin n’a pas douze ans quand il lit le Belfast Telegraph : « Un désastre frappe la plus connue des équipes de football. L’avion qui transportait Manchester United s’écrase et prend feu. Les survivants toujours entre la vie et la mort. » 23 Mancuniens ne se relèveront pas.
"J'ai claqué beaucoup d'argent dans l'alcool, les filles et les voitures de sport. Le reste, je l'ai gaspillé.
Avec Best, les Red Devils emportent la couronne d’Angleterre en 1965, puis en 1967. Avant, enfin, la Coupe d’Europe de 1968. George Best soulève le Ballon d’or, entouré de ses coéquipiers Denis Law et Bobby Charlton. The United Trinity. Au vrai, Law et Charlton sont de meilleurs professionnels. Mais Best, c’est aussi une dégaine sortie tout droit de Woodstock, une gueule d’ange et une nonchalance de Working Class Hero. Tout ce qui va faire de lui l’égérie d’une génération. Tout ce qui va l’entraîner, aussi, dans une chute brutale. C’est ce qu’il reconnaît, avec une insolence teintée de clairvoyance, lorsqu’il affirme que « si j’avais été moche, vous n’auriez jamais entendu parler de Pelé ». O Rei dira lui-même de Best qu’il est le meilleur joueur qu’il ait vu jouer. Un talent intrinsèque génial, mais une aura trop lourde à porter pour les cannes fragiles de Georgie Boy.
Quelque part entre les débuts et la consécration, il y a, déjà, Lisbonne. Mars 1966, à l’Estádio da Luz du Benfica – quel autre écrin que le Stade de la Lumière pour George Meilleur ? – l’ailier virevoltant se révèle à l’Europe. La presse portugaise flashe sur le beau gosse, chevelure au vent et yeux de loup. Elle le baptise aussitôt O Quinto Beatle, le cinquième Beatle. Hasard ou coïncidence ? Le dernier batteur des Beatles avant Ringo Starr, n’est autre que Pete... Best. Surtout, ce surnom vise juste. Dans les années 60, Best est l’homme le plus photographié au monde après la famille royale, les Beatles et les Rolling Stones. Une camionnette est spécialement affrétée par la Royal Mail pour acheminer les 10 000 lettres hebdomadaires qui lui sont adressées, trois personnes sont employées à temps plein pour y répondre. Consécration médiatique, George le footballeur est invité dans l’incontournable show Top of the Pop.
Best est alors l’icône d’une jeunesse rebelle et sexy, à une époque où les bonnes mœurs enserrent encore la société anglaise. Célibataire, fashion – il ouvrira un magasin de fringues – et noceur invétéré, il est le premier joueur à assumer et à user de son image, en avant-gardiste. On lui prête une relation avec Debbie Harry de Blondie, il fréquente David Bowie, rétablit la vérité en glissant malicieusement qu’il n’a « pas couché avec sept Miss Monde, seulement quatre. Les trois autres, je ne suis jamais allé au rendez-vous. » George Best est un flambeur, un noctambule qui incarne audace et liberté. Les Fab Four composent la musique des Sixties, il en dessine la chorégraphie. Une vie fascinante et vertigineuse, en équilibriste entre le magique et le tragique. Borderline.
Mais son amour de la fête le trahit. Il perd sa passion, entre absences répétées et états d’ivresse aux coups d’envoi. En 1972, à 26 ans, il annonce sa retraite sportive, quitte le nord de l’Angleterre pour le sud de l’Andalousie. Son spleen s’étale : « Le football m’empêche la plus grande partie du temps de faire ce que j’aime. Ce que j’aime, c’est le soleil, la mer, les taureaux, les femmes blondes, les brunes et les rousses. Je ne peux pas y remédier. » Deux semaines passent avant que Best revienne sur sa peine. Mais le mal est fait. D’autant qu’une autre étoile montante tend à le ringardiser : Johan Cruyff. Lui aussi affiche une allure de rockeur et empile les punchlines. Mais, s’il est un fumeur invétéré, Cruyff est épargné par la part d’ombre de son alter ego. Et il ira beaucoup plus haut que Best.
Désormais alcoolique notoire, Best se fait virer deux ans après sa brève retraite. Il louvoie de l’Afrique du Sud aux Etats-Unis, en passant par l’Irlande. A Los Angeles, il rencontre Angie McDonalds, un top-model. Ils rentrent un temps en Angleterre, jusqu’à ce qu’Angie reparte aux Etats-Unis, fatiguée par ses liaisons extraconjugales, ses cures de désintox’ avortées et son attirance irrépressible pour le casino. George Best la suit, elle finit par l’épouser et lui donner un enfant, Calumn. Avant de le quitter à nouveau. Alors Best s’envole pour l’Australie, puis prend définitivement sa retraite sportive, en 1983.
" Si j'avais eu le choix entre marquer un but en pleine lucarne et me taper Miss Monde, j'aurais eu du mal à me décicer.
Par chance, les deux me sont arrivés."
A 37 ans, l’inactivité le plonge dans un alcoolisme sans fond. Il se confie : « Les gens ne se rendent pas compte à quel point je souffre de mon alcoolisme. Et ils ne voient pas les efforts que j’ai endurés pour essayer d’arrêter. Mais je ne peux pas m’empêcher de boire. À cause de cette maladie, je ne suis pas du tout devenu la personne que je voulais être. Et je sais que je ne pourrai jamais rien y changer. » Alors qu’il est élu sportif britannique du siècle en 1995, il est aussi ruiné. Il vend ses trophées pour s’acheter une petite maison à Antalya, en Turquie. Mais il boit, encore et encore. Sa greffe du foie, en 2002, ne l’arrête pas. Il est condamné pour conduite en état d’ivresse. En octobre 2005, il est admis en soins intensifs pour une infection pulmonaire. George Best décède le 25 novembre 2005 à Londres. Il a 59 ans.
Son décès crée une émotion immense en Grande-Bretagne. S’il sort de trois décennies de déchéance, personne n’a oublié ses quelques années de grâce. Il se dit outre-Manche qu’il existe deux catégories de personnes : « ceux qui ont vu jouer Best, et les autres. » L’aéroport de Belfast prend le nom de George Best. Lors de ses obsèques nationales, 300 000 personnes se massent malgré la pluie. Soit plus de 15 % de la population nord-irlandaise... Pour accompagner le cortège est joué The Long and Winding Road, des Beatles. Et, dans la foule, cette banderole en forme d’épitaphe : Maradona good, Pelé better, George Best. Le kid aura vécu une vie bruyante et folle. Désormais, il lui reste la légende. Rest in peace, Georgie Boy.
Par Eric Carpentier