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En reflexion

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Qu’est-ce qui a bien pu pousser un homme à se lancer dans une telle aventure ? Un blockhaus de la Seconde Guerre Mondiale, 350m2 de béton à recouvrir de miroirs.
Un pari fou.

Un défi qui rappelle les grands bâtisseurs, ceux qui ne se lassent pas de construire, d’entreprendre. Un projet longuement mûri. Un rêve devenu réalité, pour mieux transmettre sa vision du monde.
Son action force à regarder autrement, autant de miroirs brisés que d’existences laissées à l’abandon, gâchées par la vie, par les batailles des hommes, par des hommes qui ne regardent plus qu’eux-mêmes.
Il voudrait leur dire aux autres, aux humains de se rendre compte de ce qu’il s’est passé ici, qu’à un moment sur cette plage, il y a 70 ans, il y a eu l‘Histoire et que cette Histoire a laissé des traces, même si on essaie d’oublier. Il y a des mots, des phrases qui ont été prononcés.
Il y a eu des morts aussi par milliers. Il voudrait nous faire réfléchir, avec ce blockhaus en miroirs, qu’il appelle « Réfléchir ».
Pour que le présent éclaire le passé.


D’un symbole de guerre, de défense, il a créé une œuvre d’art. Il a détourné le béton, armé de ses mains, de colle et de miroirs. Il a voulu montrer le beau dans l’horreur. Il a voulu dire la Paix, l’a donnée à voir. Il ne croit pas en la fatalité.
Tout peut changer.
Avec la force d’y croire.
Avec de la volonté.
Bien sûr il y est allé au culot.
Nostalgique, il parle de Lin, son amie chinoise, artiste elle aussi, qui au début du projet a mis toute sa force pour l’aider. En mars 2014, il commençait clandestinement la façade Est, celle tournée vers la Belgique. Il ne demande les autorisations qu’une fois cette première façade achevée - un tel projet n’ayant aucune chance d’être accepté sur papier.
C’est peut-être ça en un sens les vrais artistes : contester, s’autoriser, on verra après, advienne que pourra.
« Réfléchir » s’inscrit aux confins du Land Art, du Street Art et de l’Art Brut ; mouvements dans lesquels l’artiste a su se constituer une identité.

L’artiste. Il se nomme Anonyme, peut-être pour se cacher et lui-même disparaître, mais sans doute aussi parce que l’œuvre est plus importante que l’homme.
Parce que son projet il l’avait en tête.
Parce que l’homme est têtu, déterminé, obstiné rien ni personne ne l’aurait fait reculer.
Parce qu’il est mû par un désir, une  nécessité à réaliser, à bâtir.

Le blockhaus a été détourné, l’œuvre créée. On en voit d’ailleurs de toutes les couleurs quand on passe devant le blockhaus, il prend les teintes du ciel, de la mer, du sable, du soleil. Il prend les couleurs de la pluie. On se sent terrassé devant un tel phénomène, oui certes on se trouve bien à Dunkerque, plus précisément à Leffrinckoucke, mais face à cet afflux de lumière, face à ce détournement déroutant, on jurerait être ailleurs. On proposerait bien New York, il ne se sentirait pas étranger au milieu des grattes ciels de la mégalopole américaine ; il représente à la fois notre futur et notre passé. Et lorsqu’on s’y regarde, qu’il nous projette en mille exemplaires, on n’a jamais été aussi ancré dans le présent.
Et puis des gens il en a rencontrés, des gens éblouis par les miroirs, par cette dimension universelle. Ils sont venus par centaines, lui demander pourquoi, quel était l’objectif de sa démarche ?
A eux sans se lasser il répond, qu’il a voulu cacher le béton, montrer la faille de cette indestructible structure, la fragilité dans la matière.
Que depuis plus d’un an, il détourne, transforme un bâtiment militaire en œuvre d’art avec l’idée de le faire disparaître tout en le révélant. Et il espère qu’il s’intègre au mieux dans ces paysages dunaires. C’est aussi pour lui un moyen de mettre en exergue les erreurs du passé, de tirer un signal d’alarme face à la montée de l’extrémisme. C’est enfin un amer,  plus spécifiquement un point de repère pour les marins. Tel un phare, il se voit depuis la Belgique, efface par là-même les frontières.

Il serait d’ailleurs possible que « Réfléchir » soit inscrit sur les cartes maritimes ; l’œuvre d’art serait alors officiellement un point de repère cartographique. Sans doute une première.
Lieu de défense, témoin des horreurs de la guerre, puis avec les années, selon les heures du jour et de la nuit, le blockhaus est devenu autre :
- A été un lieu d’aventures extraordinaires pour les enfants et les adolescents ; peut-être toujours,
- Fut un lieu de fêtes ou de débauche pour les adultes, les punks, les raveurs ; encore un peu sûrement,
- Est un lieu de refuge des sans-abris, des marginaux, des extradés ; hélas.

72 ans après sa construction, un bunker a été détourné sur la plage de Leffrinckoucke. L’auteur est Anonyme. Il en a fait une œuvre d’art. Devenu une forme en miroirs, un objet massif et brillant sur le sable, entre les mains de l’artiste, le blockhaus a disparu. Et pourtant désormais, on ne voit plus que lui. On ne voit plus que lui depuis la mer, le ciel, la terre. Il faut le voir pour le croire.

LE BLOCKHAUS EN CHIFFRE
350 m2 de miroirs, 3000 cartouches de colle, 1500 heures.
Ce projet « Réfléchir » a été entièrement autofinancé par Anonyme, sans aides financières des structures institutionnelles ou privées.
L’artiste, passé maitre dans l’art de la récup’ et la débrouille, a pensé cette installation comme participative ; de nombreux dunkerquois sont venus au fil des mois lui apporter des miroirs. C’est ainsi qu’a été créé Réfléchir, miroir après miroir, telle une structure vivante qui évolue sans cesse au gré des éléments. Dans un souci de conservation de l’œuvre, sujette à la casse, il faudra pourtant qu’elle soit restaurée, protégée, que le site jonché de débris de bouteilles soit fréquemment nettoyé.
Qui va prendre le relais ?
Qui va aider à la pérennisation du projet ?

anonymeuntitled.wix.com/blockhaus 
FACEBOOK : ANONYME À DUNKERQUE 
INSTAGRAM : @ANONYME_PROJECT
Texte : olivia merlen

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