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Aleteïa

Des étoiles dans le caniveau

Il existe un adage chez les indiens Navajos, qui dit que « créer de la beauté c’est résister ». On ne s’est pas soucié de savoir si Emilie – la jeune femme derrière Aleteïa – le connaissait mais on trouve qu’il colle assez bien à ce qu’elle est, à ce qu’elle fait.

Aleteïa, pour commencer, est un zèbre. C’est elle qui le dit. Un animal à part dans le monde du street art. Elle grandit en Bretagne. Son père, architecte, séjourne à New York à l’occasion d’une mission dans les années 70. Il est marqué par les graffitis et transmet cet étonnement à sa fille. La famille émigre à Paris. Emilie a 16 ans et se retrouve au lycée avec une bande de graffeurs. Elle adore traîner dans ce milieu, sans pour autant passer à l’action. Sa génération est à cheval entre le hip hop et l’électro. Ses références sont encore larges. Elle a besoin de sens. Bref, elle ne voit pas encore quelle pourrait être sa contribution.

Une rencontre agira comme un déclic. Aleteïa fait la connaissance de L’Atlas et du collectif d’Une Nuit puis des VAO (voir notre article dans Apologie Magazine numéro 6). Le groupe est un doux mélange d’innocence et d’énergie. Il lui donne l’envie de tout oser. Mais quoi ? Et surtout avec quel message ? Elle est une fille de la campagne jetée avec délice dans l’univers urbain en classe de seconde. Car elle l’aime, cette nouvelle vie. Dès le départ elle marche énormément, arpente bitume et trottoirs, se balade un peu partout, prend des photos, apprend le nom des rues, cartographie son nouveau terrain de jeu. Elle remarque dans le même temps que, dans son nouveau décor, on ne voit plus les étoiles, alors qu’elles sont très présentes hors des grandes agglomérations. La voilà, l’idée. La lumière permanente de la ville nous cache notre condition. Il faut rendre les étoiles aux citadins, leur redonner une référence importante, un rapport au cosmos. Elle appréciait les boussoles semées sur les trottoirs de Paris par L’Atlas. Elle éclaboussera le bitume de ses étoiles.

Aleteïa démarre avec ses constellations. Original, mais pas simple. Elle est une femme dans un milieu d’hommes et, comble du comble, s’affranchit des règles dans un milieu du graffiti qui en est saturé. Les critiques pleuvent mais elle assume son envie de jouer et trouve dans le collectif VAO une bande et des soutiens de poids. Le jeu continue, donc, et elle y prend goût. L’exigence, pourtant, pointe le bout de son nez et la question se pose : doit-elle continuer à jouer ainsi en amateur, ou se professionnaliser et devenir artiste à temps plein ? Aleteïa a envie de projets plus construits, moins vandales, plus réfléchis quant à l’investissement des espaces publics. Le graffiti devient fréquentable et sujet à la récupération par des entreprises en quête de « street credibility », par exemple. C’est le temps de la scission d’avec le parisianisme.

Après des années de rigolade au sein de la Forge, l’antre du collectif, Aleteïa fait ses bagages et part pour Grigny. Une cité piétonne de 70 hectares. Une merveille d’utopie architecturale des années 70. L’endroit a du caractère. Il fut dans les années 90 une place forte du hip hop et de la peinture de rue. A son arrivée, il est devenu une zone de non-droit, dans un état de délabrement avancé. Les patrouilles de police tournent autour de l’ensemble mais n’y entrent que rarement. L’artiste s’y sent pourtant bien. Elle peint. Et malgré quelques coups de pression au début, elle est vite acceptée. Ses peintures sont faites à même le sol, un peu à l’arrache. Les habitants apprécient. Elle entame un travail avec les associations locales et organise des échanges autour de son art entre Paris et la banlieue.

Cela fait maintenant dix ans qu’Aleteïa afait de la Grande Borne sa base, le moteur de ses créations et de son engagement. Son travail sur les constellations en est l’illustration parfaite. Qu’est-ce qu’une constellation sinon un dessin, une projection humaine dans laquelle l’homme se raconte ? L’histoire de ces lignes tracées artificiellement et reliant les astres suit celle de l’humanité. On leur a donné des noms d’animaux, de dieux, d’explorations, jusqu’à l’invention de l’électricité. On n’attribue plus aujourd’hui aux étoiles que des numéros. Et plus aucune constellation n’est créée. Alors, puisque le ciel est plein, pourquoi ne pas en jeter sur le bitume et créer ainsi une nouvelle mythologie urbaine ?

Aleteïa se base sur l’histoire des gens et de ce qu’ils vivent pour ses constellations de trottoir. Elle utilise, pour les nommer, des mots d’adulte – tolérance, débat, etc. – ou d’enfant – bonbon, champion, partage. Les cartes racontent à chaque fois une histoire sur un lieu. Elles ne servent à rien d’autre que çà. Il y a ainsi la constellation des ASSEDIC, des centres d’impôt, du marché noir, des putes, des PMU. A la Grande Borne, elle dresse la carte patrimoniale, permettant aux habitants de découvrir dans leur environnement direct des oeuvres dont ils pouvaient ignorer jusqu’à l’existence. Plus tard, dans le cadre d’un dispositif de Contrat local d’éducation artistique (CLEA) sur la ville de Corbeil-Essonnes (91), elle a demandé à 300 enfants de dessiner avec elle des parcours étoilés racontant une histoire sur la ville ou le territoire. Une manière pour eux de se réapproprier l’espace public en marchant dans leur ville et en peignant dans leurs rues.

L’artiste multiplie les projets participatifs, affirmant son besoin de construire et de réfléchir, confirmant surtout un engagement fort, une volonté de créer du lien grâce à son art. Sa démarche diffère un peu de celle des autres membres du collectif VAO. Elle est ainsi dans la bande sans y être, comme tous chez VAO, comme tous dans le graffiti. Son rêve aujourd’hui est que ce mouvement s’organise pour être clair, accessible et surtout pour faire avancer l’idée de l’art dans l’espace public. Ce qui était à l’origine un jeu est devenu un art professionnel., estime-t-elle. Il a besoin de référents, ne serait-ce que sur la question des droits d’auteur et de l’effacement des oeuvres. Aleteïa insiste : le mouvement du street art est prêt à s’organiser pour faire des choses plus belles encore, avec du sens.

web : aleteia.fr.
instagram: aleteiagram

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