
Case study
CASE STUDY HOUSES PROGRAM – Concours de circonstances
Ou comment un concours d’architecture lancé dans la période d’après-guerre à Los Angeles va conduire à la construction de quelques-unes des plus belles icônes du modernisme californien.
Nous sommes en 1945. La seconde guerre mondiale touche à sa fin. Aux Etats-Unis, les millions de soldats engagés dans le conflit vont bientôt rentrer au bercail. Il va falloir les loger. Vite. Et bien si possible.
Après le coup de frein de 1929, toute l’activité économique a été concentrée dans l’effort de guerre au détriment des autres secteurs. Le bâtiment ne fait pas exception. Il est au point mort. Le contexte est par ailleurs à la pénurie. Difficile de trouver les matériaux traditionnels pour la construction.
A Los Angeles, Californie, un homme, John Entenza, perçoit bien que le pays va entrer dans une période charnière. Il est rédacteur en chef du magazine Arts & Architecture. Admirateur des idées du mouvement des modernes – forme dictée par la fonction, rationalité, modes de production industriels – il voit là une occasion de les mettre en pratique.
Il décide donc de monter une grande opération de communication et de promotion de ces idées auprès du grand public, via un grand concours ouvert aux architectes. L’idée est judicieuse. Cette compétition permettra à la fois de faire un peu de pédagogie sur les théories des modernes, de contribuer à leur réalisation concrète, et bien sûr d’imposer son journal comme le porte-voix et le sponsor de cette modernité.
Le cahier des charges est fixé. Il prévoit la conception de maisons individuelles. Elles devront être simples, économiques, facilement reproductibles, utilisant les techniques et matériaux issus de la période qui s’achève.
Le concours est lancé en janvier 1945. Pour l’anecdote, un mois avant le décès de Robert Mallet-Stevens (voir notre article sur la Villa Cavrois). Un moderne s’éteint, d’autres s’éveillent… Avec un peu de lyrisme, on pourrait y voir quelque chose comme le prolongement, d’un continent à l’autre, d’une histoire commencée dans les années 20, interrompue par la guerre, mais alimentée par des idées dont on sait qu’elles ont bouleversé le 20e siècle et qui résonnent encore aujourd’hui. Mais on risquerait de s’égarer.
Jusqu’à la fin du concours en 1966, 36 projets seront conçus – 34 maisons et 2 appartements. Certains ne seront pas réalisés, principalement au début du programme, par manque de client ou de terrain. Les autres trouveront preneurs et seront bien construits.
Le croquis de la Case Study House N°21.
29 architectes ont participé à ce concours, parmi lesquels de grands noms comme Charles et Ray Earnes, Eero Saarinen, Raphael Soriano, Craig Ellwood, Richard Neutra, Rodney Walker, Edward Killingsworth ou encore Pierre Koenig. Ce projet leur a permis de tester et de préciser leurs idées sur l’utilisation des matériaux comme le verre et l’acier, ainsi que sur l’organisation du plan. Il est vrai qu’au fur et à mesure des années, le programme s’est éloigné du but économique et social fixé à l’origine par John Entenza. Avec la croissance, les demandes des clients, plus riches, ont évolué. Il laisse toutefois une trace aujourd’hui, comme la signature de ce qui n’est au final qu’un épisode de l’histoire du modernisme de l’après-guerre à Los Angeles. Un produit de son temps et de son environnement. Mais qui exerce encore une grande influence sur l’approche des architectes actuels sur la maison contemporaine.
Case Study House N°22 : histoire d’une icône
Elle est certainement la plus connue. La Case Study House N° 22, réalisée par Pierre Koenig, est emblématique à plus d’un titre.
Elle fait partie – comme la Villa Cavrois, au risque d’insister – du réseau des Iconic Houses. Elle est donc à ce titre considérée comme l’une des plus belles maisons du monde. Etonnante de radicalité et de minimalisme, son histoire, pour ne rien gâcher, mérite qu’on s’y attarde.
La CSH n°22 est aussi appelée « maison Stahl », du nom de ses commanditaires, Carlotta et Buck Stahl.
Le couple fait l’acquisition à la fin des années 50 d’un terrain sur les hauteurs de la ville pour la modique somme de 13 500 dollars, soit le prix à l’époque d’une jolie maison avec trois chambres. L’entourage ne comprend pas. L’endroit est plutôt mal fréquenté, les jeunes zonards du coin s’y rassemblant régulièrement. Seul avantage : ce promontoire offre une vue à 240 degrés, à couper le souffle, sur la cité des anges. Et pas question pour les Stahl de perdre ne serait-ce qu’une miette de ce panorama.
C’est Pierre Koenig qui est finalement choisi pour réaliser le projet. « Le site était épouvantable », rapportera-t-il, ajoutant que « le client avait des envies de champagne, mais juste de quoi se payer une bière ». Il voit toutefois le potentiel du lieu.
Le jeune architecte s’intéresse alors à l’acier. L’un de ses anciens professeurs l’avait pourtant prévenu que ce matériau n’avait aucun avenir en architecture. « Les femmes n’en voudront pas », lui avait-il dit. Trop industriel. Il va pourtant utiliser au maximum les capacités de portée de ce métal pour construire un ouvrage vertigineux. La maison surplombe le vide. Fait notable, tous ses murs extérieurs, à l’exception de celui donnant sur la rue, sont en verre. Il a fallu pour cela réaliser des modules de plus de 6 mètres de long.
La célébrité de la maison doit beaucoup au photographe Julius Shulman, qui a su mieux que personne la mettre en scène.
Utilisée par le cinéma – la première fois en 1962 pour le film italien « Smog », avec Annie Girardot – et par les publicitaires, elle peut aujourd’hui être visitée. En 2012, plus de 77 000 personnes venant de 155 pays différents avaient fait le déplacement. Une icône.
texte: alfred dulere – photos: © CR
Case Study Houses, the complete csh program 1945 – 1966 chez TASCHEN édition